Dans le petit salon chaleureux attenant à l’entrée du relais Vosgien, l’ambiance est empreinte de souvenirs. Des vieilles photos de famille ornent les murs en se mélangeant avec goût à des meubles plus récents. Christiane Thenot s’assoit, avec son chien Raisin sur les genoux, dans le grand canapé aux couleurs vives. « Depuis mon cancer en 2012 j’ai eu envie de remettre plus de couleurs dans ma vie », confie-t-elle derrière ses lunettes rondes et violettes.
Battante, elle l’a toujours été. Quand elle reprend l’affaire familiale dans les années 1980, elle a à peine 23 ans. Elle qui a toujours voulu travailler dans l’hôtellerie et la restauration est alors cuisinière en vadrouille, avec une amie serveuse, pour découvrir d’autres pays, d’autres lieux, d’autres savoir-faire. Elle travaille en Allemagne puis en Autriche, puis en Suisse. « Ça payait mieux », glisse-t-elle avec un clin d’œil. Mais son père la rappelle dans les Vosges car il veut prendre sa retraite et lui confier l’affaire. « C’était le patriarche. Moi, j’aurais sans doute voulu continuer à me balader mais quand il disait quelque chose, on écoutait », reconnaît-elle.
À défaut de s’émanciper complètement du giron patriarcal, elle prendra cependant son envol d’un point de vue entrepreneurial. « Encore aujourd’hui, être une femme cheffe d’entreprise n’est pas évident, mais alors imaginez il y a quarante ans ! », lance-t-elle, encore fâchée que le crédit hôtelier ne lui accorde à l’époque aucun prêt. Or, pour moderniser l’affaire, la jeune femme a besoin de 300000 francs. C’est finalement le Crédit agricole qui la suivra dans l’aventure. « Je me suis jurée dès lors de ne plus jamais me laisser faire », raconte-t-elle, fière d’avoir pu réemprunter 3 millions d’euros par la suite sans que personne ne sourcille.
Le Relais Vosgien, une affaire de famille
L’entreprise familiale ne manque pas d’anecdotes. Au moment où Christiane reprend le Relais, des subventions sont octroyées pour développer le tourisme dans les Vosges et les élus viennent visiter les lieux pour flécher les financements. Christiane Thenot reçoit la visite du député-maire de Vittel, Hubert Voilquin. Son échange avec lui l’a profondément marquée, par sa requête particulière et crue : « Bon, imagine que tu es en train de prendre ton bain et que ton mec a envie de chier un coup. C’est pas bien agréable, donc tu feras des WC séparés, et avec cette condition tu l’auras ta subvention », lui demande-t-il avec sérieux. Une suggestion qu’elle a prise à la lettre : « Heureusement qu’il a insisté. A l’époque, ça ne se faisait pas vraiment les WC séparés mais c’est rapidement devenu une exigence des clients », observe-t-elle. L’établissement possède alors 7 chambres.
L’hôtellerie est une histoire de famille chez les Thenot. La façade affiche d’ailleurs fièrement « Maison Thenot depuis 1913 ». Christiane Thenot, la quatrième génération, s’inspire encore quotidiennement de sa grand-mère paternelle et de sa maman, qui « passaient des heures à cuisiner pour les hôtes ». La mère de Christiane, Sophia, est une figure emblématique du Relais Vosgien. Elle s’est éteinte il y a deux ans, après une vie pleine de rebondissements, parfois heureux, mais aussi extrêmement douloureux. Exportée dans les camps de concentration pendant la Seconde guerre mondiale, Sophia Thenot était d’origine polonaise et avait trouvé dans les Vosges son refuge. Elle a transmis son savoir à sa fille unique et l’a aidée jusqu’aux derniers instants de sa vie. « Si vous saviez le nombre de légumes et de patates qu’elle a épluchés », sourit avec nostalgie Christiane, qui se remet à peine de la disparition de son « binôme ». Amputée des deux jambes suite à la maladie, Sophia était elle aussi une battante, pour laquelle Christiane avait d’ailleurs fait aménager un certain nombre d’espaces. « Pour les normes PMR, croyez-moi on était en avance », glisse-t-elle en ouvrant la porte d’une chambre adaptée aux personnes à mobilité réduite.
C’était le patriarche. Moi, j’aurais sans doute voulu continuer à me balader mais quand il disait quelque chose, on écoutait
Christiane Thenot y tient, d’ailleurs, à être en avance. Informatique, décoration, normes : tout y passe. Cette hyperactive attentionnée ne laisse rien au hasard et observe en permanence son environnement. En 2012, son cancer des poumons l’a amenée à combattre encore plus l’adversité. « Je rentrais de ma chimio à Paris et je trouvais des arrêts de travail sur mon bureau. Mon équipe m’a totalement lâchée à cette époque et pourtant ça m’a encore plus donné envie de me battre », assure-t-elle. Le 10 novembre de la même année, elle reçoit un coup de fil du préfet lui annonçant qu’elle va être faite chevalier de l’ordre national du mérite.
Épanouie dans sa vie professionnelle, elle admet cependant avoir délaissé pendant longtemps sa vie de femme. « On ne peut pas être partout ». Une situation qui a changé, puisqu’elle partage sa vie avec son compagnon depuis vingt ans et a trouvé dans ce lien une autre ressource familiale. Ensemble, ils ont adopté leur fils, âgé aujourd’hui de 16 ans. « Il ne veut pas reprendre le Relais, il aime la terre, l’agriculture », explique-t-elle. Mais la femme d’affaires a plus d’un tour dans son sac. A l’aube de ses 60 ans, elle prévoit sereinement la suite, pour elle mais aussi pour ses 6 salariés.